Au moment de la tétée, le mouvement de succion commun aux jeunes mammifères correspondrait à un réflexe inné de survie. Il existe une association entre le goût d'un aliment et ses effets après ingestion : l'organisme subit un apprentissage lié aux conséquences physiologiques de cette ingestion avec la création d'un véritable réflexe acquis, le temps de réaction étant beaucoup plus long qu'un réflexe du type pavlovien 7Pavlov et ses théories sur les réflexes conditionnés..
Le réflexe gusto-facial.
Le réflexe gusto-facial est un phénomène singulier, déclenché par des stimulations sapides supra liminales. Il a été décrit pour la première fois par un psychologue de l'enfant, Preyer (1887) ; complètement oublié ensuite, il a été redécouvert et étudié systématiquement par J. Steiner (1973), qui fournit des précisions sur ce phénomène : dès les premiers moments de la vie, le nouveau-né réagit par une mimique aux stimulations sapides (la réponse existerait déjà in utero). Cette mimique est, d'une part, présente chez tous les enfants, d'autre part, différente selon le stimulus (salé, sucré, acide, amer) et identique, pour un même stimulus, d'un individu à un autre.
Le réflexe gusto-facial est une réponse innée, réflexe, stimulo-dépendante ; elle n'est pas le propre de l'homme.
Cette mimique réflexe, dépourvue au départ de toute intentionnalité, survient dans un contexte social fortement investi émotionnellement par l'entourage (situation alimentaire chez le nourrisson) : l'entourage, dès la perception de la mimique, l'interprète, lui assigne un sens. M. Chiva, (1979) a suivi le devenir du réflexe gusto-facial lors d'une étude longitudinale qui prend le sujet dès la naissance jusqu'à l'âge de 24 mois et qui a mis en évidence trois étapes.
De la naissance à six mois environ, la stimulation, à condition d'être suffisante pour être perçue par l'enfant, déclenche le réflexe gusto-facial. La mimique est nette, se manifestant par tout ou rien, sans nuances ; elle n'est pas accompagnée de cris ni de pleurs et n'est pas orientée vers quelqu'un.
le sucré provoque ce que l'on peut interpréter comme un sourire, rétraction des angles de la bouche.
Le salé provoque généralement une mimique de désagrément.
Les saveurs acides entraînent un plissement du nez et un clignement des paupières qui sont des signes de répulsion.
L'amer provoque une réaction de rejet total sans doute lié au goût amer des alcaloïdes végétaux toxiques pour l'organisme, il s'agit à l'origine chez le nourrisson d'un phénomène réflexe c'est-à-dire une réponse stéréotype non volontaire à une stimulation suffisamment forte.
Entre neuf et quatorze mois, le réflexe gusto-facial s'atténue et se module ; la réponse apparaît en demi-teinte. Il est difficile de savoir s'il s'agit seulement d'ébauches de mimique ou bien de mouvements réprimés, de tentatives de contrôle. Mais, lors de stimulations très fortes, le réflexe réapparaît avec la même netteté qu'auparavant et avec les mêmes caractéristiques. Les réactions peuvent même être plus fortes, mais elles restent sans orientation spécifique.
À partir de seize mois environ apparaît un changement spectaculaire ; les mimiques sont, en général, plus discrètes, plus intégrées dans l'activité faciale générale de l'enfant. Mais, désormais, celui-ci les utilise délibérément. Une saveur, appréciée ou non, peut déclencher une mimique ; mais l'enfant l'amplifie, la répète avec la même intensité et surtout l'oriente vers des personnes. Le but est clair : se faire comprendre par autrui, faire savoir l'agrément ou le désagrément éprouvé. Ainsi, le réflexe gusto-facial se détache de l'aspect réflexe originel ; il s'intègre dans le processus relationnel et devient conduite de communication avec autrui ; Utiliser des mimiques, des pleurs, pour satisfaire ses besoins, mais aussi ses désirs. Ce mode de communication non verbale persistera tout au long de notre vie et constituera parfois de vrais codes sociaux.
Le « nourricier » oriente, parfois à son insu, le comportement alimentaire... L'adulte a une expression différente sur son visage suivant qu'il propose un aliment qui aime ou qu'il n'aime pas.
De ce fait, l'étude du réflexe gusto-facial dépasse l'étude de la seule sensation gustative et s'inscrit dans une problématique générale de psychologie : la métamorphose du biologique en psychique, l'établissement des processus de communication non verbale, l'étude du caractère universel, inné, qu'auraient certaines mimiques en tant qu'expression des émotions.
L’apprentissage du goût, dès le plus jeune âge, a donc son importance. Certains arômes apportés par l'allaitement entraînent ensuite une préférence alimentaire. Dans les années 1990 une physiologiste américaine (Julie Mennella université de Philadelphie.) Montre que la consommation de produits tels que l'ail, la vanille où la carotte pendant la grossesse et l'allaitement peut entraîner plus tard une appétence particulière pour ces aliments.
Ainsi dès les premiers mois il est intéressant de diversifier l'alimentation afin d'enrichir la mémoire gustative du bébé qui possède son catalogue saveurs, d'odeurs, de consistances, de températures… Le bébé sait reconnaître les goûts familiers, il faut encourager et multiplier les découvertes, il faut aussi tenir compte des réactions du nourrisson en pensant aux obstacles et aux blocages possibles. Un aliment peut être refusé, recraché non pas pour sa saveur mais pour sa consistance, sa température, sa couleur...
Sensation gustative et troubles des conduites alimentaires :
Les troubles affectant les conduites alimentaires sont habituellement considérés comme ayant une origine psychogène (mis à part les cas où une affection organique peut en être responsable directement), il apparaît actuellement que la sensibilité gustative aurait, elle aussi, un rôle dans leur apparition.
Fischer et ses collaborateurs ont étudié corrélativement les aversions alimentaires chez l'adulte et la finesse discriminative du goût, par la méthode des seuils sensoriels. De cette étude, il ressort que les sujets ayant une grande sensibilité à l'amertume sont aussi ceux qui présentent le plus de rejets alimentaires. La sensibilité aux trois autres saveurs ne présenterait pas des corrélations significatives avec les préférences alimentaires.
M. Chiva (1979) a étudié l'apparition de « caprices » et de difficultés d'ordre alimentaire chez le jeune enfant, corrélativement avec la sensibilité gustative et avec la réactivité émotionnelle. Il distingue dans la population trois groupes de sujets selon leur sensibilité (hypo-, normo- et hypergueusiques 8En technologie, se dit des individus marquant des choix ou des aversions nettes pour certains aliments.. Il apparaît que les enfants hypogueusiques ne présentent aucun problème alimentaire, mangent tant qu'ils ont faim, acceptent tout et ne présentent pas de préférences électives. À l'opposé, les enfants hypergueusiques sont ceux qui ont des choix ou des aversions marqués ; ils présentent des caprices alimentaires ; ce sont ces mêmes enfants qui ont une plus grande réactivité émotionnelle. Ces particularités des conduites alimentaires peuvent être attribuées, en partie au moins, au fait qu'ils perçoivent bien plus finement les saveurs que les autres, il convient de se souvenir alors de la tonalité émotionnelle spécifique de la perception gustative, qui peut, de ce fait, jouer un rôle dans les choix et les rejets.
Cela n'évacue pas la dimension psychogène, mais la précise. Dans certains cas en effet, la multiplication des choix, des rejets et le fait qu'ils s'expriment avec d'autant plus de force que l'aspect hédonique 9Relatif à l'hédonisme (théorie philosophique qui ne refuse pas le plaisir et évite la douleur). est important, définit le type même de la situation génératrice de conflits autour de la table de repas et dans la situation relationnelle entre l'entourage et l’enfant, le tout s'inscrivant, bien entendu, dans un contexte éducatif général. Aussi, dans la pratique comme dans la clinique courante, convient-il de tenir compte de la superposition des deux facteurs - la sensibilité gustative individuelle et le conflit relationnel surajouté - pour comprendre la genèse des troubles des conduites alimentaires.
Le sevrage :
Dans les sociétés occidentales les codifications de l'alimentation datent de l'après guerre. Le premier aliment est le lait, puis ensuite les bouillies semi liquides. Vient juste après l'aliment mixé puis enfin solide. Cette transition se nomme le sevrage. Il survient de plus en plus tôt, et se conclut actuellement avant 2 ans. Le sevrage est la fin d'un système relationnel très économique entre la Mère et l'Enfant. Les frustrations que le sevrage engendre peuvent représenter un véritable traumatisme. L'Enfant attribue à l'aliment solide toute l'angoisse que lui inspirait l'étranger. Le sevrage marque aussi le passage de l'alimentation nature (naturel au corps humain), à l'alimentation culture. L'Enfant peut désormais marquer son refus ou son acceptation de la culture. Toutes les manières de la table ont pour but la mise à distance de la nourriture, pour se différencier en tant qu'êtres culturels.